Pour réussir un projet de croissance externe, il faut certes maîtriser les aspects juridiques et légaux des fusions-acquisitions ; mais surtout, il faut que l’entreprise soit structurée opérationnellement pour accueillir la nouvelle structure.
La croissance externe, un levier incontestable de développement… quand elle réussit !
La croissance externe est un levier de développement très efficace. L’étude menée par la société de conseil Societex sur les entreprises cotées sur Euronext Growth montre que les sociétés » acquisitives » ont surperformé de 5 % en moyenne entre 2008 et 2018 par rapport à celles qui n’ont pas fait de croissance externe. Sur les trois dernières années, la surperformance atteint 16 %. Une bonne raison de projeter des acquisitions.
A condition de rester vigilant car encore beaucoup (trop ?) de projets d’acquisition échouent. Frédéric L’Héréec et Erik Poitrenaud, directeurs associés chez Korn Ferry France, estimaient dans un article de septembre 2018 que 70 à 90 % des fusions-acquisition étaient un échec. Le cabinet Akoya Consulting dans un livre blanc de 2015 chiffrait quant à lui à 50%, voire à 70% le taux d’échec post-fusacq, insistant sur le rôle du capital humain dans ces résultats.
Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites sur l’importance de maîtriser les aspects techniques du montage du projet, le choix de la cible, la compréhension réciproque des enjeux, etc. ainsi que sur l’enjeu humain et le caractère critique de l’accompagnement du changement. Un autre aspect est pourtant à ne pas sous-estimer bien que moins souvent abordé : à savoir, la préparation de l’entreprise qui réalise une acquisition.
La clé : préparer opérationnellement son entreprise à intégrer une autre société
Car en effet, pour qu’un projet de croissance externe réussisse, il faut que l’entreprise qui rachète soit en mesure de créer de la valeur business et humaine à partir de l’entreprise acquise. Deux préalables : que l’acquisition serve explicitement la stratégie de développement élaborée, et que l’entreprise acquisitive soit structurée opérationnellement pour.
Un chef d’entreprise peut par exemple opter pour une opération de croissance externe dans le but d’acquérir une technologie, un savoir-faire ou des compétences qui lui manqueraient, ou de gagner des parts de marché sur un territoire donné et que sa société n’adresserait pas encore. En exprimant cette vision, il se met en condition pour aligner les visions de développement des deux structures, créer une culture commune et piloter la stratégie générale.
Ensuite, quelle que soit la vision poursuivie, le succès de l’opération dépend de la capacité de l’entreprise à exécuter le plan d’action prévu sur 6 à 12 mois, capacité qui dépend elle-même de ce qui aura été préparé en amont. Dans les faits, cela signifie que le chef d’entreprise se soit affranchi d’une lecture purement comptable du projet (bilan, résultat d’exploitation, marge et valeur comptable) pour réfléchir à l’organisation de sa société après acquisition (services, implantations, etc.) et aux processus opérationnels les plus critiques qu’il doit travailler en priorité.
Éviter de créer un collectif à deux vitesses
Cette phase préalable est indispensable car les attentes et aspirations des 2 entreprises sont complétement différentes. Ne pas en tenir compte risque de créer un collectif à deux vitesses.
N’oublions pas que, si l’acquéreur et ses équipes vivent dans le futur de son développement, de leur côté, le vendeur et ses équipes vont entamer le deuil de leur environnement professionnel précédent, avec un sentiment d’une incertitude sur leur futur, donc de peur.
Cette peur peut s’exprimer de différentes façons. Par exemple, le service communication va suspendre toute diffusion d’information faute de savoir avec certitude quoi dire à qui et comment. Le département commercial va chercher à protéger ses clients et partenaires, voire répondre aux offres aussi soudaines que rapides de la concurrence. Les RH vont commencer à regarder le nombre de doublons potentiels au niveau des postes. Enfin, une grande partie des équipes sera attentiste, sinon opportuniste. A l’extérieur, les clients et partenaires, au moindre bruit de couloir, vont regarder les propositions de concurrents très réactifs dans un tel contexte.
Ces réactions, sommes toutes humaines, non seulement expliquent en grande partie l’échec de bon nombre d’acquisitions, mais génèrent également des pertes financières indirectes appelées » dark costs » qui peuvent atteindre jusqu’à 30% du coût de l’opération. En étudiant le mécanisme de plus près, on voit qu’elles apparaissent une première fois quand l’annonce de l’acquisition est faite au marché et aux équipes, puis quand le plan d’intégration se déroule, étape par étape, département par département, en construisant opérationnellement la nouvelle structure globale » en marchant »
Pour y remédier, il faut pouvoir répondre avant l’annonce officielle aux questions élémentaires : » qui ? « , » que ? « , » quoi ? « , » où ? « , » comment ? « , et » combien ? « . Si cela est fait, alors il n’y aura plus qu’à exécuter le plan, sans que personne ne soit surpris, et avec, à la clé, un gain de temps et d’argent, ainsi que pas de perte de motivation des équipes et une période d’attentisme moins longue. Comme le plan de récupération clients et partenaires aura aussi été prévu et planifié dans un calendrier, les concurrents n’auront pas le temps d’attaquer votre nouvelle base installée.
On le voit, racheter une entreprise n’est pas une simple opération financière et juridique. Il ne suffit pas d’être un tacticien du rachat, il faut avant tout être un businessman et un manager qui veut créer de la valeur mesurable par une opération de croissance externe. Pour citer Olivier Meier, professeur des universités qui enseigne entre autres à l’Université Paris Est, Paris Dauphine et Sciences Po Paris et a récemment écrit sur le sujet, « pour valoriser une opération de fusions-acquisition, la préparation est essentielle car la politique d’intégration va rarement de soi (Poniachek, 2019). Elle dépend avant tout des objectifs poursuivis par l’acquéreur (intégration verticale, diversification, internationalisation, innovation stratégique…). Maîtriser un processus d’intégration post-acquisition demande à la fois rigueur et attention, en veillant notamment à bien articuler les enjeux de l’opération et le mode d’intégration adéquat. C’est à cette condition que l’acquéreur pourra espérer favoriser le succès de l’opération et en optimiser la création de valeur ».